Islamophobie et blackface – Malaise social au Québec

Il y a presque un an, en mars 2016, j’écrivais ce texte, interpellée par l’atmosphère d’Islamophobie et le malaise social créé par le blackface du bye-bye de l’année précédente. Je me rends compte aujourd’hui que ce n’était pas exagér d’avoir peur, d’être inquiète. Le 29 janvier 2017, nous avons tous été choqués par les évènements tragiques de Québec, qu’on ne peut dissocier de cette montée de l’islamophobie. Six (6) hommes, des pères de familles, d’honnêtes gens ont été tués dans une mosquée à Québec pendant qu’ils priaient tranquillement. Mamadou Tanou Barry, Ibrahim Barry, Khaled Belkacemi, Karim Hassane, Azzedine Soufiane, Aboubaker Thabti ont perdu la vie, victimes de la haine. Une haine qui porte un nom et qu’on ne peut plus occulter si on veut vraiment régler les problèmes, pour que leur mort ne soit pas vaines  et surtout pour qu’une autre tragédie nait de la peur ou du rejet des différences ne survienne encore.

Je partage donc, avec vous, ce texte toujours actuel.

Est-ce qu’il vous est arrivé des moments dans votre vie où vous vous posiez des questions sur la société dans laquelle on vit? Des moments où l’on désespère de la comprendre et qu’on se demande, mais bon sang qu’est ce qui se passe? Qu’est-ce donc que cette hystérie, ces dérapages verbaux? C’est ce qui m’arrive depuis un moment au Québec, depuis le débat sur la charte des valeurs, l’interdiction des signes dits ostentatoires et plus récemment la levée de boucliers contre l’arrivée des réfugiés syriens et la naissance de mouvements du type PEGIDA au Québec, La Meute et j’en passe. Immigrante, noire, musulmane, maman d’un jeune black et d’une métisse il faut dire que je suis devenue pas mal sensible à la xénophobie, à l’intolérance, au nationalisme étriqué et aux dérives identitaires.

Les gens s’emmurent dans leur peur, leur ignorance et, des populistes ambitieux, des mégalos ou des narcissiques profonds s’en emparent, les aiguillonnent, les nourrissent, en font leur programme politique ou, plus mercantile, juste leur fonds de commerce.

En 2007 déjà j’avais constaté que certains partis, et médias, aimaient s’inspirer de faits et d’initiatives politiques tirés d’une Europe, plus précisément de la France, en difficultés avec ses citoyens issus de l’immigration d’une part et des dérives extrémistes d’autres part. Il suffisait qu’on parle de trouble dans les HLM en France ou de minaret en Suisse, qu’un politicien populiste s’empressait de glisser, au courant d’une entrevue, ‘’ses inquiétudes’’ et que le Québec était vulnérable, qu’il fallait repenser le modèle d’immigration, renforcer l’identité québécoise. Une identité qui était toujours en danger, menacée par la diversité, comme si les immigrants ne pouvaient pas se l’approprier et la nation québécoise intégrer des identités plurielles. L’identité d’une nation ce n’est pas seulement une langue, un peuple fondateur, une histoire; c’est aussi une volonté de vie commune, un contrat social et une implication citoyenne. La nation québécoise ne saurait se limiter à une ethnie, ‘’les pur-laines’’, elle évolue et inclut toutes ces vagues d’immigration successives, ces néo-québécois qui ont choisi la belle province, quelle que soit leur couleur, leur croyance, leur orientation sexuelle. Un Québec inclusif, mais pas juste dans des slogans et des titres administratifs ronflants, mais dans la réalité de tous les jours.

L’épisode de la fameuse charte des valeurs poussée dans l’agenda politique a montré des dérives regrettables et  les prémisses d’une fracture que la promotion de cette identité unique peut occasionner.  Des femmes voilées se sont fait agresser, insulter, les musulmans crucifier, c’est le cas de le dire, et les symboles religieux ramener principalement au foulard sur la tête. En fait, toute la discussion sur la charte tournait autour du voile dit islamique, et la plupart des musulmans, voilés ou pas, l’ont perçu comme la charte de l’exclusion. Le parti québécois, dont c’était le cheval de bataille a perdu les élections mais les dissensions sont toujours là; la boite de pandore ouverte, difficile de la refermer.

Des mouvements ultranationalistes se sont développés ou sont sortis de leur léthargie, inquiet d’une ‘’islamisation du Québec’’ que certains journalistes alarmistes, que je m’abstiendrais de nommer, leur prédisent. J’ai été choquée de voir un humoriste québécois partager sur sa page facebook une des photos retouchées d’un site web d’extrême-droite européen, Dreuze info, représentant la tour Eiffel déformée en minaret, nourrissant ses ‘’followers’’ de préjugés et de peur sur ce qui guettait le Québec. La défense classique : vous, musulmans, n’avez pas le sens de l’humour. En effet, distribuer du matériel de propagande d’un mouvement d’extrême-droite connu est loin de faire rire ceux qui en paient le prix et à juste raison. L’annonce de l’arrivée de 25 000 réfugiés syriens au Canada a démontré un bel élan de solidarité, qui a heureusement dominé tout le reste, mais les démons de la boîte de pandore se sont ramenés. Certains québécois, dits de souche ‘’se sont lâchés lousse’’ pour reprendre une expression d’ici, postant des vidéos d’une extrême-violence verbale envers les musulmans. Des musulmans qui ne cautionnent nullement ces attentats qui font des victimes innocentes partout dans le monde. Une pétition contre l’arrivée des migrants syriens s’est même invitée dans les débats! Le sentiment de peur avait pris le dessus sur l’humanité de ce beau monde qui s’opposait à la venue de ces réfugiés.

Je ne peux me départir d’un grand malaise quand je vois un ancien militaire, Eric  Corvus (NDLR un nom d’emprunt), qu’on dit victime de stress post traumatique, créer un groupe de défense, appelé de surcroît la meute, quand on sait que le propre d’une meute c’est de chasser! Quand je lis son ’’manifeste’’ ainsi que les commentaires islamophobes des adhérents à sa page Facebook je me dis qu’on n’est pas au bout de nos peines.  Le plus inquiétant, c’est de savoir que ce groupe, qui se définit comme le dernier rempart avant que l’Islam ne prenne le dessus,  avec des positions ultranationalistes, islamophobes, xénophobes, sexistes, bref un condensé brut d’intolérance de tout genre, compterait dans ses rangs d’anciens, mais aussi des militaires en service.

La Fédération des Québécois de souche, PEGIDA Québec*, le Front national du Québec, (eh oui, il y en a un), des groupes néonazis, ou qui se disent «anti-antifascistes» comme Légitime Violence, des politiciens populistes, des animateurs et chroniqueurs en mal de popularité, se sont tous découverts le même ennemi : l’islam et les musulmans qu’ils taxent d’extrémistes, inadaptés à la vie en occident.  Ils en oublient qu’eux-mêmes sont des extrémistes, nourris à la haine de l’autre, l’étranger. Ces groupes ont souvent des alliances transatlantiques avec d’autres groupuscules radicaux, essayant de reproduire un clivage social qui n’a pas sa raison d’être au Québec.

L’immigration québécoise est très différente de celle en France ou en Belgique et l’interculturalisme qui prévaut ici a été garant de rapports harmonieux alors qu’un pays comme la France, qui a essayé l’assimilation, a connu un échec qu’elle paye actuellement. L’idée d’une société homogène est illusoire, il va falloir que les extrémistes de tout bord s’y fassent et que nous essayons de vivre ensemble, en évitant toute démagogie et amalgames douteux.

L’islamophobie n’a pas été seule à tenir le haut du pavé de l’intolérance, il y a eu aussi un certain antiféminisme ambiant ces dernières années, amenant même des femmes, et pas des moindres, à se distancer du mouvement féministe ainsi que le BLACKFACE, qui s’est invité dans l’espace médiatique ces derniers temps. Cette pratique ridicule et insultante qui consiste à se badigeonner la face d’un maquillage noir douteux pour parodier un ‘’black’’. Une pratique qui ne peut se justifier aujourd’hui quels que soient les arguments avancés.

Le blackface, dans le passé, était une forme odieuse de moquerie d’une race qui se croyait supérieure à une autre, l’ayant contrainte à l’esclavage. Aujourd’hui, il est le fait de paresseux culturels, forts de leurs privilèges et peu ouverts à la diversité dans leurs domaines d’activités. Le mépris est différent d’une époque à l’autre mais est malheureusement encore là.

Traiter de ‘’moustiques’’ des gens qui se battent pour une meilleure représentativité de leur communauté et un respect d’un passé douloureux est inadmissible. Amener l’excuse de ‘’l’ami noir’’ encore symptomatique; plusieurs membres des communautés noires du Canada et de l’Europe vous diront que c’est connu comme manœuvre dilatoire et en passe de devenir la blague du siècle.

C’est méprisant de répondre :

  • Nous avons un budget restreint et ne pouvons engager un comédien noir pour jouer Bugingo. Engagez un noir, un asiatique, un indien, etc. pour représenter la diversité canadienne, c’est ce qu’on attend du bye-bye. Faites-lui jouer autre chose ou pas, cela est de votre responsabilité, on s’entend. Et si vous ne voulez pas le faire, arborer votre plus belle pâleur pour parodier Bugingo. Vous pastichez un homme, pas sa couleur, et je ne croirais pas que Bugingo se limite à sa ‘’noirceur’’.
  • Le blackface ne choque pas Boucar Diouf et Normand Brathwaite donc où est le problème? Le fait est qu’il est simpliste de réduire une communauté à ses icônes médiatiques, surtout s’il n’y en a même pas une poignée. L’avis des autres ‘’moustiques’’ ne comptent pas, on en a intégré quelques et comme ils n’ont rien à dire c’est ben correct!
  • «On n’en mettra plus, de Noirs. ….je fais un rôle qui dure 12 secondes. Pensez-vous que j’aurais engagé un Noir pour 12 secondes …… Et on ne peut quand même pas lui faire jouer le rôle du maire de Montréal, comme disait mon metteur en scène !». très révélateur venant d’une des personnalités les plus connues du théâtre québécois, l’ouverture n’est pas pour demain…

Je pourrais en citer beaucoup d’autres et, ce qui est souvent constant, c’est que ces personnalités se disent outrées, choquées, insultées d’être interpellées, et se défendent d’être racistes. Si tu ne veux pas être assimilé au racisme ou à l’intolérance n’use pas de la pratique la plus raciste dans l’histoire de la culture américaine. Et s’il est normal qu’une vedette soit toujours centré sur elle-même, il est peut-être nécessaire quelques fois d’arrêter de se regarder le nombril et de penser aux jeunes de ces communautés qui vivent la discrimination, se battent pour l’estime de soi et pour transcender le racisme.

L’art et la culture ont aussi une fonction éducative et réconciliatrice, remuer la boue du passé, accentuer les différences ou stigmatiser une population n’en fait pas partie et personnellement je ne trouve aucune créativité à explorer dans ce sens. Il faut prendre en considération que l’esclavage est un passé si loin et si proche à la fois car enfoui au fond de nous, c’est une blessure que porte chaque noir. Et ceci qu’il soit descendant d’esclave, au sens strict, ou issu du continent africain qui a été vidé de plusieurs dizaines de millions de ses fils sur plusieurs siècles. Essayons de panser les blessures au lieu de les rouvrir.

De manière plus générale il faudrait que tous ceux qui tirent sur les immigrants se mettent une journée dans leur peau avant de parler de leurs problèmes d’intégration. Les immigrants font déjà face à énormément de défis; trouver un travail satisfaisant est un parcours du combattant; ce serait peut-être charitable de leur donner un peu de répit. Et gardons à l’esprit qu’immigrer c’est déjà une volonté de s’intégrer, d’aller vers l’autre.

‘’On est toujours l’étranger de quelqu’un. Apprendre à vivre ensemble, c’est cela lutter contre le racisme.’’ Tahar Ben Jelloun

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